Le tribunal est un endroit intimidant pour la majorité des individus assignés à témoigner à la cour. En plus d’être sommés de respecter des règles qu’ils maîtrisent peu, les témoins sont contraints de se retrouver dans le même environnement que la personne accusée et doivent répondre à des questions précises sur un moment éprouvant de leur vie.
Pour certains, le stress inhérent à l’implication pénale peut même compromettre leur capacité à rendre un témoignage complet
Bien que l’expérience du témoignage soit difficile pour les adultes, elle l’est davantage pour les mineurs puisque ces derniers n’ont pas encore acquis l’ensemble des capacités cognitives, langagières et émotionnelles nécessaires pour faire face aux exigences rigides de notre système de justice (Nathanson et Saywitz, 2015). Longtemps considérées comme incapables de fournir des informations fiables dans le cadre de procès judiciaires, les récentes connaissances scientifiques éclipsent cette opinion préconçue en soutenant que les mineurs peuvent rendre un témoignage de qualité si leurs capacités sont respectées (Cyr, 2019). La forme de la question, sa complexité et la répétition des questions seraient notamment des facteurs déterminants dans le type et la qualité de la réponse de l’enfant (Lamb et Sternberg, 1998). Or, il n’est pas rare que les témoins mineurs soient confrontés à de longues questions comportant un vocabulaire compliqué durant les audiences judiciaires, ce qui va à l’encontre des bonnes pratiques mises en lumière dans la littérature internationale. Selon Sas (2002), les avocats ont plutôt tendance à poser des questions complexes sans égard au niveau de développement cognitif des enfants. Il en résulte que le type de questions posées en salle de cour dépasse souvent leurs capacités, ce qui peut ultimement altérer leur image de soi et exacerber leur détresse psychologique (Goodman et coll. 1992). Ainsi, plusieurs données probantes indiquent que les mineurs peuvent être des témoins compétents s’ils sont préparés et questionnés adéquatement.
Par ailleurs, alors que le système de justice pénale est surchargé et que les acteurs judiciaires manquent de temps, mentionnons que les enfants victimes de mauvais traitements ou d’autres crimes présentent des vulnérabilités qui requièrent des interventions personnalisées (Quas et Sumaroka, 2011). Considérant le besoin d’attention soutenue des enfants et les risques de revictimisation liés à la participation judiciaire, il n’est pas étonnant que les juristes hésitent encore à ce jour à les faire témoigner devant un tribunal. Une récente étude québécoise révèle néanmoins que dans les circonstances où une prise en charge psychosociojudiciaire est offerte, l’implication judiciaire et le témoignage des mineurs a des effets bénéfiques sur leur rétablissement (Daignault, Hébert et Pelletier, 2017).
La préparation au témoignage afin de maximiser les compétences des enfants
Depuis la fin des années 80, de nombreux programmes de préparation au témoignage ont été développés afin de mieux soutenir les enfants et adolescents durant leur implication pénale. L’évaluation de ces nouveaux services a rapidement permis de mettre en lumière leur incidence positive sur l’expérience judiciaire des enfants. Par exemple, les jeunes qui en bénéficient seraient en mesure d’acquérir les outils nécessaires pour faire face aux difficultés générées par le contre-interrogatoire (Righarts et coll., 2015) et en viendraient à s’exprimer plus clairement ainsi qu’à s’affirmer davantage, ce qui bonifierait la qualité de leur témoignage (Sas et coll., 1993).
Malgré ces importantes avancées à l’international ainsi qu’ailleurs au Canada, il a fallu attendre jusqu’en 2011 pour que le Programme Témoin Enfant voie le jour au Québec. Constatant les importantes lacunes de notre système de justice pénale en ce qui a trait aux services offerts aux enfants, le CAVAC de l’Outaouais s’est montré innovant en élaborant un programme de préparation au témoignage destiné aux témoins âgés de 5 à 17 ans. S’appuyant sur l’expérience pratique cumulée dans le Réseau des CAVAC et tenant compte des pratiques de droit en vigueur au sein de nos tribunaux, les concepteurs du Programme Témoin Enfant se sont d’abord inspirés d’un programme déjà existant en Ontario. Ils l’ont ensuite bonifié grâce à une recension de la littérature scientifique portant sur les pratiques à privilégier en contexte judiciaire. De cette démarche exhaustive en a résulté un programme novateur qui se distingue de l’ensemble des programmes recensés à travers le monde.
Il s’ensuit que le Québec fait actuellement figure de précurseur en matière de préparation au témoignage des mineurs et incite d’autres pays tels que la France à lui emboîter le pas
Développé en tenant compte du principe fondamental de protection de la preuve, le principal aspect avant-gardiste du Programme Témoin Enfant réside dans les différentes mises en situation où l’enfant peut s’exercer à relater ses souvenirs par rapport à des événements heureux de sa vie. Au travers de ces exercices pratiques, le mineur est notamment appelé à se familiariser avec le langage et le style de questions auxquels il sera confronté en salle de cour. Dans le souci d’éviter de contaminer la preuve judiciaire, le processus d’intervention est structuré sur plusieurs rencontres durant lesquels les faits en litige ne sont jamais abordés. Le contenu traité avec le mineur vise essentiellement à accroître ses compétences dans son rôle de témoin, à diminuer ses craintes face à un éventuel témoignage ainsi qu’à mieux comprendre le fonctionnement d’une audience. En outre, les différents volets du programme ont été développés de manière à ce que les interventions soient adaptées à l’âge, au vécu émotif ainsi qu’au développement cognitif des enfants et adolescents qui en bénéficient. C’est d’ailleurs dans la perspective d’articuler des plans d’intervention personnalisés que la tenue d’une évaluation des besoins de chaque enfant est prévue dès l’amorce du programme.
Bien que ce programme québécois constitue une avancée remarquable en matière de préparation des témoins mineurs, il n’en reste pas moins qu’un changement dans la pratique des intervenants judiciaires demeure nécessaire pour permettre aux enfants de livrer un récit juste et complet à partir de leurs souvenirs. Selon Cyr (2019), si les avocats avaient recours à davantage de questions ouvertes et diminuaient l’usage de questions trop précises, leur façon d’interroger les enfants contribuerait à accroître la quantité de détails dans leur récit des événements et, par le fait même, augmenterait leur crédibilité aux yeux du tribunal. En somme, une application systématique des pratiques prometteuses mises en relief dans les écrits nous rapprocherait de l’objectif poursuivi par l’ensemble des acteurs du système de justice, soit la recherche de la vérité.
Bibliographie
Cyr, M. (2019). Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime : de la théorie à la pratique, 2e éd., Malakoff, Dunod, 2019, 292 p.
Daignault, I. V., Hébert, M., & **Pelletier, M. (2017.printemps; online 2017.05.09). L’influence du système de justice sur le rétablissement d’enfants victimes d’agression sexuelle et suivis dans un centre d’appui aux enfants. Criminologie (Numéro spécial), 50(1), 51-73. https://doi.org/10.7202/1039796ar Financement non disponible [PMID N/A] [FreeAccess]
Goodman, G. S., Taub, E. P., Jones, D. P. H., England, P., Port, L. K., Rudy, L., … Melton, G. B. (1992). Testifying in Criminal Court: Emotional Effects on Child Sexual Assault Victims. Monographs of the Society for Research in Child Development, 57(5), i-159. doi :10.2307/1166127
Lamb, M.E., Sternberg, K. J. (1998). Conducting investigative interviews of alleged sexual abuse victims. Child abuse and neglect, Vo. 22 No. 8 pp 813-823.
Nathanson, R. et Saywitz, K. J. (2015). Preparing children for court: Effects of a model court education program on children’s anticipatory anxiety. Behavioral Sciences and the Law, 33(4), 459-475. doi : 10.1002/bsl.2191.
Quas, J. A., et Sumaroka, M. (2011). Consequences of legal involvement on child victims of maltreatment. Dans M. Lamb, D., LaRooy, C. Katz, et L. Malloy (dir.), Children’s testimony (323–350). Cambridge : University of Cambridge Press.
Righarts, S., Jack, F., Zajac, R. et Hayne, H. (2015). Young children’s responses to cross examination style questioning : the effects of delay and subsequent questioning. Psychology, Crime and Law, 21(3), 274-296. Doi :10.1080/1068316X.2014.951650.
Sas, L. (2002). Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : incidences sur la compétence à témoigner. Gouvernement du Canada. repéré à https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/ sjc-csj/ajc-ccs/rr02_6/rr02_6.pdf.
Sas, L. (1993). A Longitudinal Study of the Social and Psychological Adjustment of Child Witnesses Referred to the Child Witness Project. London Family Court Clinic Inc., ISBN 1- 895953-00-6