Contexte
Dans une étude menée par Marc Leblanc, il a été observé que les jeunes sortant des centres de jeunesse éprouvaient un déficit d’autonomie (1). De plus, il a été constaté que l’institutionnalisation a un effet inattendu et néfaste sur le développement de l’autonomie, principalement en raison de la prise en charge financière et matérielle complète des individus et du mode de vie très encadré des milieux institutionnels (2).
Face à ce manque d’autonomie dans les programmes jeunesse, de nombreux chercheurs et professionnels ont souligné l’importance d’intégrer des éléments favorisant l’autonomie dans les programmes de réadaptation. Ainsi, en août 2004, le Conseil permanent de la jeunesse a recommandé d’inclure des interventions visant à préparer les jeunes à une vie autonome dans les activités régulières des centres de jeunesse. Il a également encouragé l’expérimentation de nouvelles approches et la recherche sur cette question.
Dans cette même perspective, René et ses collègues ont insisté sur la nécessité de développer des programmes multidimensionnels
qui abordent l’ensemble des aspects de la vie d’un jeune, en visant non seulement la réadaptation, mais aussi la préparation à l’autonomie (budget, logement, loyer, etc.) (3)
Il est crucial de concevoir des interventions qui favorisent l’autonomie des jeunes sur divers fronts, tels que les compétences
de vie quotidienne et la connaissance des ressources disponibles (4).
Pour accompagner les jeunes institutionnalisés vers une vie autonome après leur placement, plusieurs programmes d’intervention ont été développés et évalués. Ces programmes, intégrant une composante d’autonomie, ont démontré leur efficacité tant dans la réadaptation des jeunes que dans la réduction du risque de récidive. Aux États-Unis, des programmes gouvernementaux tels que « independent living programs » sont implantés dans chaque État pour préparer les jeunes placés en institution à une vie autonome. Les évaluations montrent généralement que les jeunes bénéficiant de ces programmes sont plus autonomes en matière de logement et plus actifs sur le marché du travail que ceux qui n’ont pas eu accès à ce soutien (5).
En 2002, au Québec, plusieurs centres jeunesse (Abitibi-Témiscamingue, Laval, Outaouais et Batshaw) ont lancé un projet pilote en collaboration avec l’Association des centres jeunesse du Québec et le programme de recherche-action Solidarité jeunesse, visant à mieux préparer les jeunes à leur vie autonome après leur sortie des centres de jeunesse. Le bilan du projet semble globalement positif (6).
Les programmes d’autonomie, combinés aux interventions cognitivo-comportementales, sont reconnus pour favoriser la réadaptation des jeunes contrevenants. De plus, un programme favorisant l’introspection, le soutien d’un adulte compréhensif et l’expérience au sein d’un groupe positif, avec autonomie et responsabilités, peut faciliter la réhabilitation des adolescents présentant
des traits névrotiques (7). Les auto-observations quotidiennes, axées sur les éléments du contrat comportemental et les compétences acquises lors des ateliers, favorisent la responsabilisation et le développement de l’autonomie des adolescents (8). L’opposition aux règles serait ainsi résolue par une saine construction de la personnalité et de l’autonomie de l’adolescent.
Compte tenu de la pertinence et de l’urgence d’intégrer l’autonomie dans les interventions auprès des jeunes contrevenants, la cheffe de service de la garde ouverte (Jennifer Burnham) a reçu l’approbation de la Direction adjointe – Réadaptation, hébergement et santé des adolescents en avril 2022 pour mettre en place un projet pilote visant à accompagner ces jeunes vers une vie adulte autonome. Nous vous présentons ci-dessous une description succincte du projet autonomie tel qu’implémenté en garde ouverte, spécifiquement à l’unité La Place.
Description du projet Autonomie à l’unité La Place
Le projet autonomie a été conçu en harmonie avec le mandat de la garde, qui est de protéger la société en réduisant le risque de récidive.
Ce projet vise à bonifier le service de garde ouverte en intégrant des activités qui aident les jeunes à s’insérer ou se réinsérer dans la société. Son objectif principal est de préparer les jeunes à vivre de manière autonome à la fin de leur peine
Pour être admis au projet autonomie, le jeune doit avoir atteint l’âge de 18 ans à la fin de l’ordonnance de garde, sans possibilité de rester sous la Loi de la protection de la jeunesse. Il ne doit pas retourner vivre avec ses parents en raison de leur absence dans sa vie ou d’une relation conflictuelle avec eux, ainsi qu’en raison d’un projet de vie peu viable ou non viable. En plus des activités habituelles en hébergement des jeunes contrevenants, le projet autonomie propose les activités suivantes :
- Atelier « En Route vers l’Autonomie » : Cet atelier enseigne aux jeunes contrevenants les responsabilités de la vie adulte en leur fournissant des compétences et des connaissances pratiques essentielles. Les sujets abordés incluent la construction de l’identité, la préparation d’un trousseau d’appartement, l’éducation financière, la compréhension du marché immobilier et l’accompagnement dans les projets personnels. L’objectif clinique est de permettre aux jeunes de mieux comprendre la société et de se projeter positivement dans l’avenir. Ainsi, les jeunes acquièrent une meilleure compréhension du monde et les compétences nécessaires pour une réinsertion réussie.
- Atelier Cuisine : Les jeunes prennent leurs repas à la cafétéria pendant trois jours et préparent leurs propres repas pendant quatre jours de la semaine. Ils disposent d’un budget hebdomadaire pour faire leurs courses. Les jeunes autorisés à sortir sont accompagnés par les intervenants pour faire l’épicerie. Ceux qui ne peuvent pas sortir font leurs courses en ligne, avec un éducateur chargé de récupérer les produits. Cette activité vise à enseigner des compétences pratiques telles que l’organisation, la gestion financière et la planification des repas, favorisant ainsi le développement d’habitudes de vie autonomes et responsables.
- « Caucus Auto-Homme » : Ce sont des réunions permettant aux jeunes de planifier leur semaine en commun, en définissant les horaires pour des jeux de société, des activités sportives, des moments de télévision, et des tâches diverses. Les rencontres se
tiennent deux fois par semaine : la première pour élaborer l’horaire et la seconde pour le réajuster si nécessaire. Ces sessions permettent également aux jeunes de travailler sur des projets personnels ou professionnels, d’échanger sur les aspects positifs et négatifs de leur quotidien, et de rechercher des solutions aux problèmes rencontrés. - « Système de Cotation » : Les jeunes sont évalués à chaque quart pour le respect de leur emploi du temps. À la fin de la semaine, ils reçoivent une rémunération basée sur leur respect de l’horaire. Ils bénéficient aussi d’une allocation qui leur permet d’économiser de l’argent. Des projets de travail en continu dans l’unité ou sur le site permettent aux jeunes de développer des compétences professionnelles et de gérer un budget plus conséquent que dans les unités régulières. Ainsi, au moment de quitter la garde, les jeunes peuvent disposer d’une épargne pour leur loyer ou une formation.
Conclusion
Bien que le projet autonomie semble prometteur selon la littérature, il est essentiel de mesurer et garantir son impact durable et positif à long terme. Des études doivent être menées pour évaluer les effets à long terme du programme et ajuster les stratégies en conséquence. De plus, il est important de recueillir régulièrement les retours des jeunes, de leurs familles et des partenaires pour améliorer continuellement le programme. En abordant ces défis de manière proactive, le projet autonomie pourra mieux répondre aux besoins des jeunes contrevenants et maximiser son impact sur leur réadaptation et réinsertion.
Références
1 LeBlanc, M. (2003). La conduite délinquante des adolescents : son développement et son explication. Dans M. Leblanc, M. Ouimet & D. Szabo (Éds), Traité de criminologie empirique (3e éd., pp. 367-420). Montréal, QC : Les Presses de l’Université de Montréal.
2 Dumollard, M., Lacroix, I., Leclair- Malette, I.-A. & Vargas Diaz, R. (2023). L’autonomisation à l’épreuve du placement en centre de réadaptation : les expériences carcérales des jeunes placés en protection de la jeunesse. Nouvelles pratiques sociales, 33(2), 181–202. https://doi.org/10.7202/1107883a
3 René, J. F., Goyette, M., Bellot, C., Dallaire, N., & Panet-Raymond, J. (2001). L’insertion socioprofessionnelle des jeunes : le prisme du partenariat comme catalyseur de la responsabilité. Lien social et Politiques-RIAC(46), 125- 140.
4 Goyette, M., Morin, A., et Boislard, J. (2008). Le Projet Qualification des jeunes : le passage à la vie adulte des jeunes recevant des services des centres jeunesse, Intervention, 129, 16-26
5 Collins, M. E. (2001). Transition to adulthood for vulnerable youths : A review of research and implications for policy. Social Service Review, 75(2), 271–291. https://doi. org/10.1086/322209
6 Morin, A. (2004). Projet d’intervention intensive en vue de préparer le passage à la vie autonome et d’assurer la qualification des jeunes des centres jeunesse du Québec. Bilan de l’an II. Montréal : ACJQ
7 Dumas, M.-M. (2017). Considérer les écarts de conduite dans le processus de réadaptation: Comment les intervenants adaptent-ils le cadre général de l’intervention à la résistance des jeunes délinquants à haut risque de récidive ? (Mémoire de maîtrise, Université de Montréal). Dumas_MarieMichele_2017_ memoire.pdf (umontreal.ca)
8 LeBlanc, M. (2003). La conduite délinquante des adolescents : son développement et son explication. Dans M. Leblanc, M. Ouimet & D. Szabo (Éds), Traité de criminologie empirique (3e éd., pp. 367-420). Montréal, QC : Les Presses de l’Université de Montréal.