Entretien avec Vickie Gauthier Lefebvre, B. SC., criminologue et chargée de projets et formatrice, Fondation Marie-Vincent.
Le désir de chausser les souliers d’intervenante, d’en endosser le rôle et les nombreuses responsabilités peut découler d’une multitude de motivations. Aspirer à faire une différence dans le parcours de vie de son prochain peut notamment être particulièrement porteur de sens et être l’instigateur d’une orientation professionnelle. Cette ambition peut prendre diverses formes et être comblé de multiples façons. Elle peut également évoluer avec le temps et l’expérience acquise. Il serait aisé de présumer que le seul cheminement possible à l’atteinte d’un tel but professionnel est à travers une charge clinique et un poste dit de « terrain ». Pourtant, les aptitudes non négligeables des professionnels du milieu de l’intervention sociale, tels que les criminologues, peuvent assurément être mises à profit dans l’accomplissement de tâches se trouvant davantage en amont et ayant tout autant de bénéfices auprès de la clientèle pour laquelle nous nous dévouons.
À Marie-Vincent, il y a de cette diversité des rôles au profit du bien-être de leur clientèle mineure ayant été victime de violence sexuelle et des enfants présentant des comportements sexuels problématiques (CSP), ainsi qu’en agissant en prévention de la violence sexuelle. De la clinicienne accompagnant et outillant la personne victime ou l’enfant présentant des CSP, à la chargée de projets et formatrice développant des outils et des formations visant à renforcer les capacités des professionnels qui gravitent autour des enfants, entre autres rôles, tous contribuent à leur façon et à divers degrés à faire cette différence.
Pour Vickie Gauthier Lefebvre, la volonté de passer le flambeau de l’intervention pour occuper un poste de chargée de projets et de formatrice dans l’équipe formation-prévention découle d’un fort intérêt à la diversification de ses mandats, d’un souhait de dépassement de soi et de développement tant personnel que professionnel. Pour cette criminologue, il y a tellement de sujets qui l’intéressent et la passionnent, qu’il lui était donc d’une évidence que son poste actuel pourrait lui permettre de répondre à ses ambitions. Elle relève en effet qu’en étant chargée de projet et formatrice : « J’ai la chance de pouvoir continuer à alimenter ma vision clinique, ce qui était très important pour moi, grâce aux liens avec mes collègues, les partenaires, mais aussi grâce aux divers projets de prévention. » Elle n’est donc plus une intervenante « terrain » à proprement dit, mais elle le reste assurément de cœur et continue d’exploiter fièrement son expérience acquise au fil des années. Le travail de criminologue clinique peut assurément évoluer au fil d’une carrière et se transformer de façon à ce que l’expertise se bonifie continuellement.
Le fait de quitter l’intervention et le côtoiement quotidien avec la clientèle en violence sexuelle pourrait faussement laisser croire à la disparition de risques qui peuvent découler de cette fonction qu’elle occupe depuis près de deux ans.
Pourtant, à un autre niveau, il est tout de même possible pour elle et ses collègues de devoir faire face à une forme de désensibilisation au phénomène de la violence sexuelle, à la difficulté de tracer une ligne entre la vie personnelle et la vie professionnelle, d’autant plus lorsque des membres de son entourage œuvrent également dans ce même domaine. Il peut être également possible d’être confronté à l’incompréhension des uns quant à sa volonté de pratiquer dans un tel milieu, mais aussi, et surtout, cela ne la met pas à l’abri de recevoir des dévoilements de violence sexuelle. En effet, occuper un poste, quel qu’il soit, à la Fondation Marie-Vincent, dont la vision est de créer un monde sans violence sexuelle à l’égard des enfants et des adolescents, peut assurément favoriser l’exposition à des dévoilements d’un vécu traumatique.
En termes de facteurs de protection à tous les enjeux auxquels Mme Gauthier Lefebvre pourrait être amenée à faire face, il y a bien évidemment des mécanismes de protection personnelle à considérer. Prendre conscience de ses schémas lui a notamment été judicieux. Il lui a, par exemple, été aisé et même naturel de se voir endosser le rôle de personne-ressource pour ses proches en plus de l’être dans le cadre professionnel. Cette propension à assumer cette position peut être particulièrement énergivore et alourdir sa charge mentale, favorisant potentiellement une plus grande vulnérabilité. À l’inverse, reconnaître ses limites et s’employer à les respecter lui a fait ressentir de la culpabilité.
En ce sens, sans viser le parfait équilibre, être attentif et à l’écoute de soi peut éventuellement favoriser la prévention d’une surcharge et autres risques pouvant en découler.
Elle souligne notamment que « c’est un travail sur soi perpétuel, mais nécessaire pour se préserver autant dans ma vie professionnelle que personnelle ».
Outre l’aspect personnel, ce qu’elle estime être particulièrement protégeant est assurément le milieu professionnel dans lequel elle évolue. Œuvrer dans un milieu sensible à sa réalité de professionnelle et être entourée d’une équipe soutenante jouent un grand rôle dans la préservation de son équilibre et sa santé mentale. Les conditions de travail, les mesures mises en place lors de difficultés rencontrées, être à l’affut des signes d’épuisement des membres de l’équipe sont tous des facteurs favorables.
Cette sollicitude, ce support et cette considération font partie intégrante des priorités à Marie-Vincent. Cela se traduit, entre autres, par une flexibilité, un encadrement, une structure et la mise en place de soutien externe pour leurs équipes.
N’étant pas à l’abri d’un roulement de personnel, comme nombreux autres milieux, il y a un souci marqué quant à la charge de travail à réassigner. En effet, les services offerts à la clientèle doivent évidemment être maintenus et certains projets en cours doivent se poursuivre, mais les priorités sont réévaluées afin de préserver les membres de l’équipe et considérer les signes d’épuisement. Outre la prise en compte de la charge de travail, il y a une structure bien établie pour les cliniciennes leur permettant d’être soutenues et encadrées dans leur pratique, tout comme un soutien psychologique externe. En effet, l’équipe clinique est soutenue par des rencontres externes avec une psychologue visant notamment la prévention du trauma vicariant et la fatigue de compassion.
Une autre mesure récemment mise en place, toujours dans le souci de soutenir l’entièreté de leurs équipes, est l’offre du soutien externe avec une psychologue pour l’équipe formation- prévention. En effet, bien que moins directement et fréquemment exposées au vécu traumatique de la clientèle et tel que mentionné précédemment, les membres de chacune des équipes sont sujets à recevoir des dévoilements de violence sexuelle, par exemple lors de rencontres avec les jeunes dans les milieux pour l’implantation de projets pilotes en prévention ou lors de la dispensation de formations à des professionnels, mais aussi sujets à d’autres types d’enjeux à ne pas négliger. Pour son parcours professionnel, travailler dans un milieu qui lui est sain et à son écoute lui a assurément permis d’acquérir une plus grande confiance en ses compétences et notamment se préserver dans tous les enjeux précédemment mentionnés pour lesquels elle n’est pas à l’abri. D’un tel poste en amont du travail clinique, il peut également résulter un sentiment d’impuissance. En effet, considérant les responsabilités centrées sur la prévention et la formation, il peut parfois leur être difficile d’observer concrètement les résultats de leurs travaux. Elle mentionnera toutefois que « bien qu’il soit difficile pour moi de voir les retombées immédiates de mon travail et qui me fait parfois ressentir de l’impuissance, j’ai quand même la chance d’avoir une reconnaissance différente grâce aux partenaires avec qui je travaille. » Ce qui lui permet de réduire cette charge émotive pouvant découler de l’impuissance ressentie.
Ainsi, les rôles d’un intervenant peuvent évoluer et se traduire différemment d’une professionnelle du milieu social à un autre, sans pour autant devoir en délaisser et sacrifier sa vision clinique. Cependant des enjeux demeurent et la considération de la réalité de chacune de ces personnes peut grandement contribuer à leur bien-être.