C’est en rencontrant mon collègue Michel Brien, en 2008, que j’ai enfin mis des mots et compris ce concept de résonance, né de l’analyse bioénergétique à la suite des recherches du Dr Reich un contemporain de Freud. Ces idées ont été reprises par Alexander Lowen et Stanley Keleman, et elles expliquaient ce que j’avais vécu dans ma pratique sans pouvoir clairement le nommer.
La résonance c’est la gamme des sensations corporelles, des émotions ressenties ou des images mentales qui nous trottent dans la tête et qui nous parlent du malaise de l’autre ou de sa joie… Notons que l’intervenant peut faire l’expérience de ces trois niveaux de langage non verbal simultanément ou séparément. La psychanalyse parle de transfert inconscient du client sur le thérapeute et du contre-transfert du thérapeute sur le client. Elle décrit donc des thèmes semblables.
Le mot résonance rappelle l’écho. Le son qui part de nous, rebondit sur le roc et nous revient. Alors dans ce sens, ça prend un contexte relationnel : un intervenant, une parole, un silence, un geste ou une mimique et un jeune qui reçoit ce geste ou cette parole et la retourne, teintés de son histoire relationnelle, à l’intérieur de l’intervenant. Voilà en bref, le processus de résonance, l’autre forme de langage non verbal entre nous et le client.
La résonance se passe tant en relation interpersonnelle intime qu’en relation thérapeutique. Toutefois, c’est dans notre travail de relation d’aide auprès des jeunes et de leur famille fragile, en manque de mots ou de sens qu’elle peut s’avérer fort utile. Soit en face d’un client muet à l’innommable ou encore lorsque l’intervenant devient figé plutôt que mobile dans son intervention.
Tous les aidants résonnent plus ou moins fort tant aux bonheurs qu’aux souffrances de leurs clients. Mais en sont-ils toujours conscients ? Parfois, s’ils n’en prennent pas conscience et ne la réinjectent pas dans la relation thérapeutique, cet allié peut devenir une toxine, et ceci davantage lorsqu’on parle d’une personne qui porte un grand mal-être.
Plusieurs aidants avouent être épuisés, à bout, en colère, impuissants, peinés, déprimés, apeurés. D’autres partagent les images bizarres, horribles, farfelues ou inquiétantes tourbillonnant dans leur tête lors des rencontres avec les jeunes ou par la suite. Certains parlent de leurs malaises physiques : maux de cou, de dos, de tête, de cœur, des vertiges, des frissons, des poings serrés et de leur souffle coupé.
Ces états appartiennent-ils qu’aux intervenants ? Je leur pose ainsi cette question : « ça parle de qui ce malaise, cela se pourrait-il que ça parle de ton client » ? Les sensations, émotions ou images mentales des éducateurs et des intervenants sociaux représentent souvent ce que le jeune ou son parent ressent, pense ou vit sans pouvoir le nommer, voire le conscientiser.
Au fond, c’est comme si le jeune en relation avec l’intervenant « mettait de force » à l’intérieur de ce dernier, ce qu’il n’ose ou ne peut pas s’avouer et ressentir au moment présent.
Mes lectures, mes expériences cliniques, mes supervisions et mon travail de soutien auprès des intervenants m’ont démontré que les aidants aptes à contenir et à identifier en eux des émotions et des sensations sont des intervenants mieux préparés à cerner ce que le client vit ou « résiste » à vivre et ainsi trouvent plus aisément leur position dans l’accompagnement. On peut également nommer ceci comme le double regard sur nous et sur notre client ou l’observation participante utilisée en psychoéducation, condition essentielle à la relation d’aide.
Utilisation de la résonance
Prendre conscience, à tête reposée, que la résonance existe bel et bien est chose assez aisée. Toutefois, dans le vécu partagé, l’identifier, la cerner et l’utiliser représentent tout un défi. : « Ça va vite comme disent les éducateurs. »
Voilà un moyen de relever ce défi : en s’arrêtant, en respirant profondément et ainsi en prenant un recul. Ça peut vous paraître banal et pourtant, nous, les humains, bloquons fréquemment et de façon automatique notre respiration lorsque nous sommes témoins ou victimes d’histoires difficiles. C’est un réflexe efficace contre la souffrance. Le désavantage de bloquer notre souffle c’est l’espace laissé en nous. Comme si nous créons un vide qui se fait automatiquement remplir par le monde intérieur du client. Si vous vous laissez envahir par l’autre souffrant, sans en prendre conscience, et que vous le conservez en vous, vous devenez souffrant à votre tour. Voilà ce qui définit une résonance toxique. De façon plus concrète, devant un jeune ou un parent qui tourne en rond et semble ne pas se mobiliser depuis un bon moment, vous ressentez souvent de l’impuissance, de la colère ou du désespoir, vous vous voyez tomber malade ou quitter ce poste. À qui ce désespoir appartient-il ? Nous avons choisi la relation d’aide, car nous sommes sensibles aux souffrances humaines. Mais nous avions une envie, c’est d’aider et non de souffrir à leur place…
Plusieurs personnes nous signalent : « fais attention à ta distance ». Et bien ce recul nous permet justement d’identifier nos sensations, nos émotions ou images qui arrivent en nous de façon brute. Une fois bien identifiés nous devrions alors tenter de mettre en mot sous forme assimilable pour le client ce qui se passe en nous, par exemple à l’aide d’une question : c’est drôle, mais en ce moment je suis prise d’une forte émotion de peine, cela te dit-il quelque chose ? Ou alors on peut parler du nœud que l’on ressent dans l’estomac lors d’une rencontre d’accompagnement avec un jeune et lui demander ce qu’il en pense ? Automatiquement, nous nous dégagerons de ce « stockage » possiblement nuisible et notre client aura à nouveau de l’eau dans son moulin afin de relancer la quête de son rêve…
Je nous invite à prendre cinq minutes pour réfléchir à ce concept qu’est la résonance. Soyons disponibles à nous même avant toutechose. N’est-ce pas un schème relationnel du modèle psychoéducatif essentiel à une relation d’aide positive ?
En terminant, je nous encourage tous à ne pas rester seuls avec nos résonances. Écoutons-les, partageons-les avec une personne de confiance et de grâce utilisons-les. À mon sens, dans le vécu partagé, elles valent autant que les lectures de faits et les discussions de cas.
Notons qu’une large part de notre clientèle n’a pas accès ou très peu à la mentalisation de leur situation. Il leur reste donc deux niveaux possibles de langage pour demander et recevoir de l’aide : les émotions ou les sensations corporelles. Si les émotions de vos clients sont bloquées, il leur reste tout de même leur corps pour vous envoyer un message.
Voilà donc un outil d’intervention applicable avec l’ensemble de notre clientèle. Cette optique permet de sortir d’une compréhension uniquement psychique et verbale et apporte un autre niveau de langage accessible à ceux qui tendent… le corps pour cerner ce que vit le jeune ou le parent.
Je vous laisse sur cette phrase : ce n’est pas la route qui est difficile, c’est la difficulté qui est le chemin… (Tirée du livre « Les adolescents victimes/délinquants »).
Références
1 Michel Brien (2007), revue Défi-Jeunesse volXIIIno2 : prendre soin de soi comme intervenant.
2 Michel Brien (2000), à fleur de peau : revue le corps et l’analyse.
3 Michel Brien (2001), corps en résonance : revue défi jeunesse CJM-IU.
4 Michel Brien (2010) atelier développemental : prendre soin de soi comme intervenant.
5 Daniel Puskas (1988), article : analyse transférentielle du quotidien du psychoéducateur.
6 Alan N. Shore (2008), éditions du CIG : la régulation affective et la réparation du soi.
7 Daniel Dérivois (2010), les adolescents victimes/ délinquants – observer, écouter, comprendre, accompagner De Boeck : Collection Comprendre