Brève histoire de la lutte pour les droits des détenus au Québec

Droit
Écrit par Jean Claude Bernheim, Expert en criminologie

Si les accusés et les condamnés ont été au centre des préoccupations, cela découle du fait que le système de justice pénale a été, et est encore, dans une certaine mesure, un instrument de pouvoir tout en étant une institution qui assure un minimum de justice et éventuellement de sécurité. Par exemple, au cours du Moyen-Âge l’usage du droit pénal a été au service des pouvoirs politiques (monarchie, princes territoriaux,) qui n’ont pas lésiné à s’en prévaloir pour des intérêts immédiats et personnels tel qu’en fait foi l’adoption au Royaume-Uni de la Magna Carta (1215) qui vise un certain partage du pouvoir monarchique, le pouvoir central, et les tenants des régions, en octroyant certains droits aux uns et aux autres de manière à assurer la sécurité du gouvernement central.

Ce nouveau paradigme permet de souligner l’importance de faire la distinction entre reconnaissance et exercice d’un droit, enjeu qui va graduellement s’imposer. À titre d’exemple concret on peut citer l’adoption de l’Habeas Corpus Act, en 1679 en Angleterre, qui vise à contrer l’arbitraire des arrestations et des détentions par sa Majesté le Roi, que l’adoption de la Magna Carta et la Pétition des droits (1628) n’avait pas réussi à contrecarrer. C’est dans un contexte similaire que l’avocat et député Auguste Choquette (1932-2018) a introduit un projet de loi à la Chambre des Communes visant à s’assurer que le droit de consulter un avocat sans délai puisse être exercé puisque la Déclaration canadienne le prévoit, mais est dans les faits inopérante (L’Événement, 19 mai 1966, p. 40). Cette question sera débattue durant quelques années, particulièrement lors de l’application de la Loi sur les mesures de guerre en 1970, avant que le droit à l’avocat soit respecté et exercé.

Les droits des détenus

En 1926, la Howard League of Penal Reform a proposé à la Société des Nations d’adopter une charte des droits des détenus. Pendant les années 1930 et 1940, il est régulièrement question des droits des prisonniers de guerre, les prisonniers dit de droit commun ne sont pas considérés. Au Québec, la notion de droits des détenus a été rarement invoquée avant les années 1970.

Il y a été fait référence à propos de l’émeute à Kingston en 1932 et du procès de George Bailey, Sam Behan ayant témoigné qu’à l’origine la démonstration devait être pacifique et que les droits des détenus seraient revendiqués tout lors de l’émeute de Bordeaux en 1952 (Le Nouvelliste, 20 avril 1933, p. 1 ; La Patrie, 5 mai 1952, p. 8).

La Ligue des droits et libertés (LDL)1 a commencé à s’intéresser aux conditions de détention au début des années 1960. La crise d’octobre 1970 accélère l’implication de la LDL au sujet des conditions de détention tant au Centre de prévention Parthenais que dans les pénitenciers. Devant les refus des autorités politiques de permettre à la LDL d’avoir accès aux institutions carcérales, la LDL décide de constituer un comité autonome en septembre 1972 : l’Office des droits des détenus (ODD).

Dès le début, l’ODD s’est référé aux instruments nationaux et internationaux en matière de droits de la personne, dont l’ensemble des Règles minima (maintenant les Règles Mandela) des Nations Unies adoptées en 1955. Ses interactions avec les détenus et leurs familles ont rapidement permis de mieux comprendre ce qui se passe réellement dans les prisons et les pénitenciers, et de réaliser que les objectifs assignés au système de justice criminelle n’étaient pas atteints.

Rapidement, l’ODD a pris son envol international par sa participation au 5e Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants à Genève (Suisse), en septembre 1975. L’ODD y a soumis une proposition désignant 1980 l’année des droits des détenus, proposition qui n’a pas été retenue.

À l’automne 1975, au cours d’une intense fin de semaine de réflexion l’ODD a adopté la perspective abolitionniste qui s’est concrétisée dans un Manifeste en septembre 1976.

Ainsi, tout en défendant les droits individuels des détenus, l’ODD intervient sur des enjeux collectifs puisque les violations de droits ne pourront être réduites sinon stoppées sans que les principes, les structures et le fonctionnement du système de justice criminelle soient entièrement reconsidérés.

Pour atteindre cet objectif, il est impérieux que l’opinion publique soit sensibilisée aux réalités carcérales.

Ce sur quoi l’ODD va s’activer sans relâche notamment en publiant la revue Face à la Justice, par des conférences, des conférences de presse, des interventions dans les médias électroniques et même la publication de livres et des études diverses. Le dossier du droit de vote est un bon exemple de la stratégie mise de l’avant et de la persévérance nécessaire pour obtenir dans un premier temps la reconnaissance de ce droit pour les détenus et ensuite pour en assurer l’exercice. L’espace manquant pour en décrire toutes les étapes, il suffit de mentionner que la première intervention remonte à 1973 qui demandait que les autorités correctionnelles du Québec respectent la Loi électorale de l’époque, en passant par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (1981-1985) et se termine par une décision de la Cour suprême, en 2002, qui reconnaît à tous les détenus du Canada le droit de vote qu’ils peuvent désormais exercer.

La défense des droits des détenue-e-s a pour corollaire incontournable une résistance de la part de ceux qui abusent de leur pouvoir. Dans les faits, cela a mené Centraide à retirer son financement à l’ODD et ultimement à l’expulsion de l’ODD de la LDL, créant ainsi les conditions qui ont conduit l’ODD à cesser d’intervenir à partir des années 2000. Depuis, la défense des droits des détenus se pratique plus ou moins discrètement par l’intermédiaire des avocats carcéralistes.

Face aux déplorables conditions de détention, particulièrement durant la pandémie et à la prison des femmes Leclerc (Laval), la LDL a repris le flambeau et mis sur pied un Comité prison en 2020 qui mène des prises de position publiques.

Parallèlement, une réflexion intense s’y mène afin de trouver un cadre dans lequel la LDL pourra intervenir efficacement.


Références

  1. En 1978, la Ligue des droits de l’homme a changé de nom pour Ligue des droits et libertés.