Obligations déontologiques des criminologues relatives aux publications sur les réseaux sociaux, notamment sur l’application OnlyFans
Utilisation des médias sociaux par les professionnels
Qu’il s’agisse de Facebook, Instagram, YouTube, X (anciennement Twitter), plus que jamais les plateformes d’échanges et les médias sociaux sont omniprésents et font partie de notre vie. Il faut rappeler à tous les criminologues de faire preuve d’une grande prudence dans leur utilisation, et ce, tant pour les publications, photos ou vidéos mises en ligne que pour les commentaires diffusés sur ces nombreux réseaux sociaux.
Il faut savoir que dans les dernières années, plusieurs décisions disciplinaires ont envoyé le message aux professionnels que des propos, même s’ils sont tenus sur une page privée, peuvent constituer une atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession, ainsi qu’un bris du secret professionnel[1].
L’article 59.2 du Code des professions, qui vise les actes incompatibles avec l’exercice de la profession et pour lequel il existe une jurisprudence abondante, se lit comme suit :
59.2 Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’Ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
Dans une récente affaire, en 2020, devant le conseil de discipline de l’Ordre[2], une criminologue a été déclarée coupable d’avoir eu un comportement inapproprié en publiant sur une page Facebook publique des propos vexatoires à l’égard des membres des peuples autochtones du Québec. Le conseil de discipline a jugé que le geste commis par la criminologue était sérieux et lui a imposé une amende de 2500 $.
Le professionnel doit donc faire preuve de discernement ainsi que d’une grande prudence dans l’utilisation des médias sociaux. La liberté d’expression a des limites… et celle-ci est encadrée par des obligations déontologiques, que le criminologue soit dans l’exercice de sa profession ou même, dans certains cas, dans le cadre de sa vie privée.
Dans un dossier à l’Ordre des comptables professionnels agréés, l’affaire Pilon[3], le conseil de discipline avait soulevé que les CPA (comme tous les professionnels régis par le Code des professions au Québec) ont le droit d’exprimer leurs opinions librement, mais qu’ils sont tenus par leur code de déontologie de le faire avec une retenue empreinte de dignité. Le professionnel visé par la plainte a été reconnu coupable d’avoir tenu des propos qui manquent de dignité dans des vidéos publiées sur sa page Facebook, liées à la pandémie de la COVID-19 (théories du « complot »). Le droit à la liberté d’expression ne saurait empêcher un conseil de discipline de déclarer un professionnel coupable d’avoir contrevenu à une obligation déontologique lorsque le lien avec l’exercice de la profession est prouvé. En tenant des propos qui manquaient de rigueur, de modération, d’objectivité et de professionnalisme, il n’a pas agi avec dignité ni évité toute méthode ni attitude susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession.
Pour décider si les propos et commentaires du professionnel constituaient des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité de la profession, le conseil a analysé les éléments suivants :
- si les propos ont été formulés de bonne foi ou étaient fondés sur des motifs raisonnables;
- s’ils sont parmi les commentaires auxquels le public en général est en droit de s’attendre d’un professionnel (en l’occurrence ici d’un CPA);
- s’ils sont susceptibles de faire perdre la confiance du public dans la profession;
- la manière avec laquelle ils ont été formulés et leur fréquence;
- la réaction du public, s’il en est.
Dans une autre affaire, cette fois en 2018, un psychoéducateur[4] a été déclaré coupable d’avoir tenu des propos grossiers et injurieux sur sa page Facebook privée à l’égard d’une personne qui aurait porté plainte contre lui à son Ordre. Le Conseil a soulevé qu’il était inacceptable qu’un membre de l’Ordre se permette un langage aussi vil et violent envers une demanderesse d’enquête. Cette conduite a été jugée d’autant plus inquiétante qu’une des qualités principales d’un psychoéducateur est de savoir faire preuve de retenue et d’inspirer un sentiment de sécurité, ayant à interagir et à apporter du support à une clientèle des plus vulnérables. Il faut donc tenir compte des valeurs de chacune des professions, et on peut s’attendre à ce qu’un professionnel du domaine des relations humaines ait une sensibilité particulière et soit capable d’introspection à ce sujet. Il en va de la réputation du professionnel lui-même, mais aussi de celle de toute la profession.
OnlyFans
La plateforme OnlyFans, qui a été créée en Angleterre en 2016, permet à toute personne qui s’y abonne de voir ou de produire du contenu « intime » ou même pornographique sous forme de vidéos ou par la diffusion de photos. Ce contenu était à la base créé principalement par des youtubeurs, des top-modèles ou des personnalités publiques dans le but, évidemment, de faire de l’argent; c’était une façon de monnayer leur image. Mais aujourd’hui, il s’avère que toute personne peut être en mesure de le faire, et le site a gagné en popularité auprès des adeptes : ceux qui y versent du contenu et ceux qui payent pour le consulter.
Avant de mettre en ligne des photos ou des vidéos sur les médias sociaux, que ce soit sur le site de OnlyFans ou sur toute autre plateforme comme YouTube, le criminologue devrait notamment se rappeler ces grands principes :
- Être membre d’un ordre est un privilège et non un droit : ce privilège vient avec des obligations, et celles-ci dépassent celles auxquelles on s’attend de tout un chacun. Les professionnels doivent agir de manière responsable afin de ne pas nuire à l’image de leur profession.
- Pour toute intervention publique, peu importe si cela se fait en ligne, lors d’une conférence, ou même lors de l’envoi de textos ou de courriels, le criminologue doit demeurer extrêmement vigilant et toujours agir avec une grande prudence.
- Avec les réseaux sociaux, la ligne entre la vie privée et la vie professionnelle est de plus en plus mince…
Le Bureau du syndic reçoit de plus en plus de signalements de la part du public (il peut s’agir d’un client ou d’un ancien client, d’un employeur, d’un collègue ou d’autres membres de l’OPCQ), et aucun criminologue n’est à l’abri de faire l’objet d’une demande d’enquête. Même si le professionnel considère qu’il agit dans le cadre de sa vie privée, le fondement de la responsabilité disciplinaire réside dans les actes posés tels qu’ils peuvent être perçus par le public. Les normes déontologiques doivent être examinées dans l’objectif de protection du public et visent à maintenir un standard professionnel de haute qualité.
La faute disciplinaire est évidemment liée à l’exercice de la profession. Il peut par ailleurs arriver que la faute comporte des actes de la vie privée du professionnel, dans la mesure où ceux-ci sont suffisamment liés à l’exercice de la profession et causent un scandale portant atteinte à la dignité de la profession[5].
Un acte contraire à l’article 59.2 du Code des professions est généralement reconnu comme étant celui qui nuit à l’image ou à la réputation de l’ensemble de la profession ou qui mine l’essence même de la profession[6]. Cet article ne réfère d’ailleurs aucunement à une relation professionnel-client. L’infraction qui y est prévue vise le comportement général d’un professionnel, tout geste posé pouvant être considéré comme dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline[7].
On pourrait ainsi reconnaître un acte qui serait contraire à l’article 59.2 du Code des professions par le fait qu’il nuit à l’image ou à la réputation de l’ensemble de la profession, qu’il est d’une gravité certaine ou qu’il attaque l’essence même de la profession[8]. Car en présence d’une loi dont le but est la protection du public, les codes de déontologie doivent être interprétés en faisant primer les intérêts du public sur les intérêts privés. Il faut le rappeler, une fois de plus, l’exercice d’une profession constitue un privilège, et les personnes qui profitent de cet avantage doivent accepter de se soumettre à un régime disciplinaire particulier et rigoureux[9].
Bien que la situation particulière qui viserait la publication par un criminologue d’une vidéo osée ou de type pornographique par l’entremise de la plateforme OnlyFans (ou de tout autre application ou site Internet) n’ait pas à ce jour été portée devant un conseil de discipline, il faut garder en tête ces principes qui ont été maintes fois réitérés par les tribunaux en de semblables matières.
Le jugement éthique
Le criminologue exerce sa profession en respectant les valeurs partagées par les membres, et ces valeurs seront d’ailleurs intégrées au prochain Code de déontologie déjà à l’étude. Dans son préambule, l’Ordre spécifie que « le Code vise à protéger le public, à assurer la qualité des services professionnels de la part de ses membres et à préserver l’honneur et la dignité de la profession. Il édicte un ensemble de règles basées sur des valeurs professionnelles partagées par les criminologues. Dans l’exercice de sa profession, et ce, peu importe le milieu dans lequel il travaille, le criminologue doit honorer les valeurs professionnelles, plus particulièrement, mais non exclusivement le professionnalisme, la responsabilité et l’imputabilité. »
Ils doivent certainement tenir compte de ces valeurs, d’autant que les criminologues exercent de façon générale auprès d’une clientèle vulnérable, qui peut être mésadaptée ou à risque, et un syndic qui aurait à analyser une demande d’enquête prendrait assurément cela en considération.
Le criminologue a par ailleurs l’obligation de réfléchir de façon critique et responsable aux gestes qu’il pose au quotidien, et ce, tant dans sa vie professionnelle que privée. Étant donné l’utilisation très répandue des médias sociaux et autres plateformes ou sites Internet, la ligne est devenue ténue entre ce qui concerne la sphère intime et privée et ce qui est accessible au public, y compris à la clientèle du professionnel.
Bien que la société évolue rapidement, il est primordial que les professionnels se questionnent sur la portée de leurs gestes, sur leurs valeurs morales et celles sur lesquelles repose leur profession. Il en va de leur crédibilité comme criminologues auprès de leur clientèle, de leur employeur et même de la société. Porter un chapeau de professionnel vient avec une reconnaissance et des attentes de professionnalisme. D’autant que les commentaires ou propos mis sur le Web, ainsi que les photos ou vidéos, laissent des traces.
L’OPCQ tient à remercier Me Geneviève Roy pour l’écriture de cet avis professionnel.
Diffusé en mars 2024
Ordre professionnel des criminologues du Québec (OPCQ)
- Psychoéducateurs (Ordre professionnel des) c. Gaudefroy, 2016 CanLII 15502 (QC CDPPQ).
- Criminologues (Ordre professionnel des) c. Côté, 2020 QCCDCRIM 1 (CanLII).
- Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Pilon, 2021 QCCDCPA (CanLII).
- Psychoéducateurs (Ordre professionnel des) c. Gaudefroy, 2016 CanLII 15502 (QC CDPPQ).
- Tremblay c. Dionne [2006] R.J.Q. 2614; Bégin c. Comptables en management accrédités, 2013 QCTP 45.
- Di Genova c. Pharmaciens, 2016 QCTP 144.
- Waid c. Chimistes, 2005 QCTP 40.
- Lemire c. Picard, 2017 CanLII 66026.
- Rochefort c. Pigeon, ès qualités, EYB 2004-71565.