Un cadre sécuritaire pour les enfants victimes de violences conjugales et post-séparation

État de la situation
Écrit par Constance Laurin, Criminologue, gestionnaire des services cliniques chez Juripop

Une approche sociojudiciaire sensible

Le contexte de séparation imminente ou récente peut entraîner une escalade de violences et une hausse des risques de féminicides et filicides (Kropp, 2008; Ontario DVDRC, 2019). L’exercice de violences devient alors imprévisible, puisqu’il n’appartient plus à un cycle connu des personnes victimes (Boulebsol et al., 2022).

Dans une tentative de résistance aux stratégies violentes et à l’instrumentalisation des acteurs et actrices de l’écosystème sociojudiciaire (Fortin et Laurin, 2023), cet article se penche sur le vécu des enfants victimes de violences conjugales et post- séparation. En tant que professionnel.le.s, se sensibiliser sur leur réalité et approfondir ses connaissances sur le plan du savoir- être et du savoir-faire, dans un esprit de multidisciplinarité, peut contribuer à adoucir le parcours judiciaire des personnes victimes. Pour ce faire, il convient de :

  1. Valider le vécu des enfants victimes

Faire preuve d’ouverture, d’écoute et d’accueil peut minimiser les risques de victimisation secondaire (Ménard et al., 2021) et augmenter les filets de protection autour des enfants. Valider leur vécu, c’est contribuer à leur reprise de pouvoir.

  1. Miser sur la collaboration multidisciplinaire

Inclure les intervenant.e.s qui gravitent autour des personnes victimes, au sein du processus judiciaire, afin de coconstruire un cadre sécuritaire et de garantir une concertation efficace qui bénéficie à tous et toutes.

  1. Adopter une posture d’allié.e auprès des personnes victimes

Pour se faire, un souci au langage doit être observé. De plus, des outils doivent être mis de l’avant, afin d’alléger le fardeau de preuve qui pèse perpétuellement sur les épaules des personnes victimes. Notamment, à travers la consignation des impacts qui se manifestent chez les enfants, à chaque retour du temps passé chez le parent violent. Des impacts sont fréquemment présents en contexte de violences et s’estompent ou diminuent en intensité généralement dans les jours qui suivent le retour chez le parent victime. Les impacts peuvent s’articuler sur le plan de l’autonomie, de l’alimentation, du sommeil et de la gestion des émotions (Cunningham et Baker, 2009).

  1. Contextualiser les comportements et les verbalisations des enfants victimes

Au sens du Laboratoire de pratiques innovantes de Juripop en droit de la famille et de la jeunesse auprès des personnes victimes de violences conjugales et post- séparation, les positionnements des enfants doivent être analysés à la lumière des conséquences des violences, des cycles des violences, des rôles adoptés par les enfants et des stratégies d’adaptation utilisées.

Les conséquences vécues par les enfants, notamment l’hypervigilance, la crainte de représailles, les atteintes aux capacités d’affirmation et à l’estime de soi, les enjeux de mémoire, les enjeux de consommation, la difficulté à faire confiance, la minimisation des violences, l’internalisation des justifications aux violences, l’anxiété, les troubles du sommeil, les symptômes d’état de stress post traumatique, etc., peuvent toutes influencer le discours des enfants et l’accès que le.la professionnel·le aura à l’égard de ce dernier (Paradis, 2012).

Le positionnement de l’enfant dans le cycle peut varier de celui du parent victime, stratégie utilisée par l’auteur pour complexifier la mobilisation et l’empathie mutuelle. Ainsi, un enfant qui se situe dans la phase de tension est envahi d’une anxiété qui peut contribuer à son silence. À l’inverse, un enfant dans la phase d’agression peut vivre une colère qui l’amène à dénoncer cette injustice et demander de l’aide (Paradis, 2012).

Concernant les stratégies d’adaptation et les rôles imposés ou adoptés par les enfants, la consultation des ouvrages Petits yeux et petites oreilles (2009) et L’enfant une éponge… L’enfant exposé à la violence conjugale, son vécu, notre rôle (2012) est recommandé.

  1. Offrir un référencement individualisé et spécialisé

Pour ce faire, la formation est essentielle, tout comme la reconnaissance des limites de sa compétence et la collaboration avec des partenaires clés.

  1. Faire des liens entre l’exercice de violences et les capacités parentales préoccupantes du
    parent violent

L’amalgame « mauvais partenaire, mais bon parent » est à déconstruire. L’exercice de violences constitue un choix, une prise de contrôle, qui a des conséquences directes sur l’enfant qui peut en être victime de manière auditive, visuelle, intuitive ou directe (Øverlien et Hydén, 2009). Dans plusieurs cas, le filicide est la première manifestation de violence physique directe envers un enfant (Bureau du Coroner, 2022).

Des ordonnances judiciaires et des ententes sécuritaires
À titre d’intervenant.e.s, il est possible d’investir un rôle d’allié.e, en collaborant au processus judiciaire. Pour qu’une personne puisse donner un mandat juridique libre et éclairé qui respecte son rythme, ses besoins et ses limites, la personne doit connaître l’ensemble de ses options. Dans la poursuite de cet objectif, l’accompagnement d’un.e intervenant.e aux rencontres avec l’avocat.e peut être aidant et ultimement contribuer au sentiment de confiance des personnes victimes envers le système judiciaire et garantir une saine participation au processus judiciaire. Voici quelques ordonnances ou mesures qui peuvent être discutées ou demandées, dans le cadre d’un litige en droit de la famille :

  • le témoignage par visioconférence dans un lieu confidentiel pour le parent victime et/ou l’enfant victime (Barreau du Québec, 2022);
  • l’injonction pour faire cesser un comportement de violences ou empêcher un exercice de violences, notamment en imposant de rester à l’écart de la résidence familiale ou des lieux fréquentés par la famille (Koshan, 2023 et art.509 C.p.c);
  • la confidentialité des adresses des milieux éducatifs et de vie de la famille qui permet de contribuer au sentiment de sécurité et de liberté des personnes victimes (Inform’elle, 2021);
  • le retrait des attributs de l’autorité parentale ou la déchéance de l’autorité parentale (articles 606 et suivants du Code civil du Québec) peuvent s’avérer pertinent en contexte de violences conjugales et post-séparation, contexte qui témoigne de capacités parentales préoccupantes et parfois de manquement grave et injustifié à son devoir de parent ([1987] 2 R.C.S. 244);
  • la supervision du temps parental et/ ou des échanges qui peut agir à titre de filet de protection (Jaffe, Crooks et Bala, 2006). Des centres de supervision sont accessibles dans diverses régions (https://www.rqrsda.org/les-membres/), mais leur horaire est parfois limité, d’où l’importance de prévoir le moment d’échange en conséquence. Limiter les contacts permet de minimiser les risques d’escalade de violences, mais aussi d’alléger le fardeau des personnes victimes, puisqu’un tiers peut alors rendre compte d’exercice de violences dont iel est témoin;
  • les suivis auprès d’organismes spécialisés en violences conjugales et post-séparation, et non centrés sur un conflit de séparation (Côté, Gendron et Lapierre, 2024). Appliquer une analyse erronée à la situation risque de contribuer à la victimisation secondaire et de perpétuer des enjeux de sécurité;
  • l’expertise psychosociale réalisée auprès d’un.e professionnel.le formé.e en contexte de violences conjugales et post-séparation, afin que des scénarios de protection soient mis en place et que l’analyse valide le vécu de l’enfant (Vincent, 2019).

Ressources

SOS Violence conjugale au 1 800 363- 9010, ouvert 24-7 pour obtenir du soutien, de l’écoute et du référencement vers la Maison d’hébergement de son secteur.

Rebâtir qui offre quatre heures de consultations juridiques gratuites aux personnes victimes de violences, dans divers domaines de droit, au 1 833 732 2847.

La ligne Info-DPCP pour les personnes victimes de violences conjugales et sexuelles, afin d’obtenir de l’information sur le processus criminel, au 1 877 547 3727.

Juripop qui offre notamment des services juridiques sensibles et multidisciplinaires aux personnes victimes de violences conjugales et post-séparation au https://juripop.org/i-besoin-dun-avocat-services-juridiques/.


Biographie

Barreau du Québec. (2022). Personnes victimes d’agression sexuelle et de violences conjugales, Guide des meilleures pratiques en matière d’interrogatoires et de contre-interrogatoires. En ligne : https://www.barreau.qc.ca/media/ q0ngu3if/guide-meilleures- pratiques-interrogatoires-contre- interrogatoires.pdf


Boulebsol, Carole [et 7 autres], Pratiques et recherches féministes en matière de violence conjugale : coconstruction des connaissances et expertise, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2022.


Bureau du Coroner (2022). Agir ensemble pour sauver des vies. Deuxième rapport annuel du Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale, Québec, 45. C.(G.) c. V.-F.(T.), 1987 CanLII 20 (CSC), [1987] 2 RCS 244. En ligne : https://www.canlii.org/fr/ca/csc/ doc/1987/1987canlii20/1987canlii20.html


Code civil du Québec, chapitre CCQ- 1991, En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/ lc/ccq-1991


Code de procédure civile, chapitre C-25.01. En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/pdf/lc/C- 25.01%20.pdf


Côté, Isabelle, Gendron, Catherine et Lapierre, Simon. (2024). Retombées des programmes d’intervention destinés aux auteurs de violence conjugale selon la perspective de leur conjointe ou ex-conjointe : une étude exploratoire. Université Laurentienne. Université d’Ottawa. Collectif de recherche : FemAnVi.


Cunningham, Allison et Baker, Linda (2009) Petits yeux, petites oreilles Comment la violence envers une mère façonne les enfants lorsqu’ils grandissent. Centre des enfants, des familles et le système de justice. Ontario. 40. En ligne : https://www.canada.ca/content/dam/phac-aspc/migration/phac-aspc/sfv-avf/ sources/fem/fem-2007-lele-pypo/ pdf/fem-2007-lele pypo-fra.pdf


Fortin, Justine et Laurin, Constance. (2023). L’interprétation du principe du meilleur intérêt de l’enfant en contexte de violences entre partenaires intimes et de violences post-séparation : entre changement de paradigme et développement des connaissances. Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit familial. vol 536, Montréal. Éditions Yvon Blais, 55. En ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/ developpements-recents/536/c-176d391c-9481-45c8-8aab-859d003f8007


Inform’elle. (2021). La divulgation de l’adresse par les victimes de violence conjugale. En ligne : https://informelle.org/chroniques/ la-divulgation-de-ladresse-par-les-victimes-de-violence-conjugale-2/


Jaffe, Peter G., Crooks, Claire V. et Bala, Nick. (2006). Conclure les bonnes ententes parentales dans les cas de violence familiale : recherche dans la documentation pour déterminer les pratiques prometteuses. Rapport de recherche. Division de la recherche et de la statistique. En ligne : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/ lf-fl/parent/2005_3/2005_3.pdf


Koshan, Jennifer. (2023). Domestic violence protection orders and their intersections with family and other laws and legal systems. 35 :1 Rev. can. D. fam. 241-296.


Kropp, P. (2008). Intimate Partner Violence Risk Assessment and Management. Violence and victims. doi : 10.1891/0886-6708.23.2.202.


Ménard, Daphnée, B., Smedslund, Katja, Bernier, Dominique et Lessard, Geneviève (2021). Contribuer à la santé et à la sécurité des survivantes de la violence familiale : réduire les risques de victimisation secondaire. Mémoire sur la violence familiale et le droit de la famille (10). Québec, Québec : Recherches appliquées, interdisciplinaires sur les violences intimes, familiales et structurelles. En ligne : https://fvfl-vfdf.ca/fr/Sommaires/Sommaires%20PDFs/ Family_Violence_Family_Law_Brief- 10-FR.pdf


Ontario Domestic Violence Death Review Committee (2020) 2019– 2020 Annual Report. En ligne : https://www.ontario.ca/document/domestic-violence-death-review- committee-2019-2020-annual-report/chapter-4


Øverlien, Carolina & Hydén, Margareta. (2009). Children’s Actions when Experiencing Domestic Violence. Childhood-a Global Journal of Child Research – CHILDHOOD. 16. 479-496.


Paradis, Louise. (2012). L’enfant une éponge … L’ enfant exposé à la violence conjugale. Son vécu, notre rôle. Québec, Direction régionale de santé publique de la Capitale- Nationale, 131. En ligne : https://www.tcvcm.ca/files/2015-12/ eponge-web.pdf


Vincent, Alexandra. (2019). Capacités parentales et violence conjugale : une analyse du discours des experts psychosociaux et psycholégaux en matière de garde d’enfant et de droit d’accès. Maîtrise en service social. Université d’Ottawa. En ligne : https://ruor.uottawa.ca/server/api/ core/bitstreams/8612a15d-2e96-46b9-82ab-aeeae0a1a240/content