Les tabous de notre profession

Table ronde
Écrit par Jackie Huet, Criminologue

« En tous cas, moi, je ne pourrais pas faire ce que tu fais ! ».
Avez-vous déjà entendu cette phrase dans un souper de famille ?

Travailler en relation d’aide avec des personnes souffrantes, ce n’est pas très « amusant » comme sujet de conversation autour d’un verre le vendredi soir… disons que l’on préfère souvent garder cela pour nous.

Même en préservant la confidentialité, comment parler d’un patient qui a été reconnu non criminellement responsable après avoir tué deux personnes alors qu’il était psychotique ? Comment parler de l’enfant de 8 ans qui était violenté par son père, qui a perdu sa mère du cancer il y a moins d’un an et qui en est à sa 3e famille d’accueil ? Comment parler de la femme qui nous a confié les agressions sexuelles qu’elle a subies pendant 5 ans, alors qu’elle n’était qu’une enfant ?

Nous accompagnons des personnes victimes lors de leurs témoignages à la cour et entendons les moindres détails de leurs agressions. Nous lisons des rapports de police ou encore des rapports psychiatriques qui racontent avec précision les crimes qui ont été commis. Nous assistons à des déclarations d’enfants abusés.

Nous pratiquons notre profession parce que nous y croyons et que notre formation nous permet de développer les compétences nécessaires à la clientèle. Les gens que nous aidons ou tentons d’aider nous font également grandir comme êtres humains. Mais sommes-nous vraiment prêts à faire face à tout ce que ça peut nous faire vivre ?

Oui, j’ai déjà pleuré dans ma voiture en finissant mon quart de travail. J’ai déjà fait des cauchemars en lien avec mon emploi. J’ai déjà comparé le regard d’une enfant négligée à celui de ma fille qui a eu plus de chance. J’ai déjà craint qu’une personne suicidaire ne soit plus là demain. J’ai déjà été agressée par un jeune en garde fermé et cela m’a ébranlée.

Il ne faut pas oublier que ce que nous faisons est difficile et qu’il est tout à fait normal, voire sain, d’avoir besoin d’en parler ou d’en être « marqué ».

Faire face à la souffrance humaine dans une société de compressions budgétaires, de roulement de personnel, de listes d’attente qui s’allongent et de problématiques chez la clientèle de plus en plus complexes, est devenu un défi de taille.

Levons les tabous !