L’auto-compassion et la pleine conscience pour prendre soin de soi comme intervenant

Inspiration
Écrit par Caroline Mailhot, TS, psychothérapeute

La profession de travail en relation d’aide peut être très motivante, riche de sens, valorisante. Elle nous met en contact avec ce qu’il y a de plus beau et de plus vulnérable de l’humanité, mais aussi par moments de ce qui en est le plus souffrant et injuste. Nous pouvons par moments être impressionnés et inspirés par les forces et la résilience de nos clients. À d’autres moments, se sentir impuissants, épuisés par le manque de ressources, découragés devant l’immensité des obstacles que la personne vit et/ou la lourdeur administrative de notre travail, etc.

En ayant été travailleuse sociale pendant 20 ans dans les CAVAC (Centre d’aide aux victimes d’actes criminels) et maintenant en tant que psychothérapeute en pratique privée, j’ai connu ces différentes vagues d’état. J’ai eu des périodes de victimisation vicariante, c’est-à-dire que j’étais contaminée par la détresse de mes clients et que je développais moi-même des réactions post-traumatiques. J’ai aussi ressenti de la résilience vicariante, j’étais alors plutôt contaminée de façon positive par la force, et la résilience de mes clients.

Plusieurs approches dans mon parcours m’ont aidé à entretenir la flamme dont l’approche orientée sur les solutions, l’ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement) et surtout l’auto-compassion et la pleine conscience.

Ces deux approches ont gagné en popularité ces dernières années et sont soutenues solidement par la science. Je vais tenter de vous résumer dans ce texte en quoi consistent ces approches et comment elles peuvent nous aider à prendre soin de soi comme intervenant.

Nous pouvons honorer et remercier Jon Kabat-Zinn pour avoir démontré scientifiquement les bienfaits de la pleine conscience et ainsi l’avoir introduit dans la médecine et la psychologie traditionnelles. En bref, la pleine conscience est la capacité d’observer sans jugement ce qui se passe dans le moment présent. Elle nous permet de sortir de notre pilote automatique pour revenir dans nos sens, ici, maintenant. Elle peut se pratiquer de différentes façons, qu’elles soient formelles ou informelles.

Cela peut être en marchant, en pratiquant le yoga, en mangeant et même en parlant. Dans tous les cas, ne vous en faites pas, vous n’avez pas besoin d’être un moine bouddhiste sur une montagne pour la pratiquer. Tout d’abord, la pleine conscience nous permet d’être à l’écoute de soi, d’être observateurs des signes qui nous démontrent notre taux de fatigue de compassion et de satisfaction de compassion.

Par exemple, si je me sens envahie par l’histoire de violence d’un client, je peux remarquer que je retiens mon souffle, que je viens de m’avancer sur ma chaise, que mes yeux sont embués, que je visualise des images de l’agression. Cela me permet alors de choisir consciemment d’approfondir ma respiration, d’être plus confortable sur ma chaise, de boire un peu d’eau, de ramener mon attention au non-verbal de la cliente. On pourrait aussi observer nos mécanismes mentaux. Cela pourrait être par exemple la réaction de vouloir trouver des solutions à la personne pour cacher notre impuissance ou plutôt de changer de sujet pour le diriger vers des aspects plus techniques ou nous nous sentons plus en contrôle. En étant présent et observateur de ce qui se passe dans le moment présent, je peux aussi mieux ressentir les aspects positifs, touchants et gratifiants de mon travail. Je peux prendre le temps de les savourer plutôt que de les tenir pour acquis.

Je peux m’offrir des pauses au cours de ma journée de travail pour pratiquer la pleine conscience, en m’offrant une petite marche où j’observe les nuages et entends les oiseaux, cela peut être aussi en prenant ma pause diner en mangeant lentement en étant consciente des goûts et des textures des aliments. En revenant dans le moment présent, je peux mieux faire une tâche à la fois (certains me diront que ce n’est pas toujours souhaitable!), mieux me concentrer et ainsi mieux gérer le stress. Comme disait Jon Kabat-Zinn :

« Quand vous prenez une douche, vérifiez que vous êtes bien dans la douche. Il se peut que vous soyez déjà à une réunion de travail. Peut-être même que la réunion entière est dans la douche avec vous. »

La liste des bienfaits de la pleine conscience est très longue, j’ai cité que quelques exemples. De toute manière, ne me croyez pas sur parole, tentez l’expérience par vous-mêmes.

Grâce à la pleine conscience, on peut ressentir et réaliser lorsque nous vivons des émotions et des pensées désagréables au travail. Cela m’indique alors que je peux ensuite appliquer l’auto-compassion. Ces deux approches peuvent être représentées par les deux ailes d’un même papillon tant elles sont complémentaires. L’auto-compassion pourrait se résumer à se traiter comme on le ferait avec un meilleur ami. Si vous utilisez la pleine conscience pour observer vos pensées dans une journée, est-ce que votre façon de vous parler serait la même que celle que vous utiliseriez avec un collègue que vous appréciez ? Il y a de forts risques que ce ne soit pas le cas. Imaginez lorsque vous vivez un défi au travail, qu’est-ce que vous auriez besoin d’entendre d’un proche collègue ou d’un patron bienveillant ? Et est-ce de cette façon que vous parlez à vous-même ? Imaginez l’impact que cela peut avoir sur votre vitalité d’intervenant d’avoir un collègue ou un patron à côté de vous qui vous parle comme vous vous parlez toute la journée. Seriez-vous plus inspiré, fier et motivé ou plutôt découragé, honteux ? L’auto-compassion s’inspire de ce qui est apaisant et que nous offrons souvent naturellement pour les autres : un toucher apaisant, une voix douce et bienveillante, une petite action de douceur pour montrer à l’autre qu’on est là en support. Selon Kristin Neff, l’auto-compassion se compose de trois éléments fondamentaux. Tout d’abord la pleine conscience qui permet de ressentir et accueillir que nous vivons un moment de souffrance. Ensuite, l’humanité commune qui nous permet de réaliser que ce que l’on vit est universel et non personnel. Par exemple, que bien sûr il y a d’autres intervenants qui se sentent impuissants, épuisés, dans le doute, etc. Et la dernière étape est de nous offrir de la bienveillance afin d’apaiser ce moment difficile, que ce soit par un mot, par un geste ou par une action qui nous fait sourire. Ici, le but n’est pas de faire disparaitre la souffrance, mais de bien s’accompagner pour la traverser.

Il y a une citation de Kristin Neff que je trouve très utile à se rappeler :

« Alors que l’auto-critique demande : Suis-je assez bon ? L’auto-compassion demande : Est-ce que ceci est bon pour moi ? ».

Alors que l’esprit est souvent préoccupé par nos compétences, il pourrait être intéressant de poser notre attention sur ce qui a du sens ou non dans notre travail et ainsi de clarifier s’il y a des actions à poser pour améliorer nos conditions et ainsi la satisfaction de compassion.

La pleine conscience et l’auto-compassion sont donc deux compétences qui vont nous aider à s’auto-réguler, ce qui est primordial en tant qu’intervenant. Nous pouvons influencer positivement le client en ayant nous-mêmes un système nerveux qui est apaisé lors de la rencontre.

Comme on ne peut pas apprendre à nager en lisant sur le sujet, on ne peut incarner la pleine conscience et l’auto-compassion par la lecture d’un livre, il nous faut l’expérimenter encore et encore. Par chance, il y a de plus en plus de ressources pour nous soutenir dans l’application de ces approches qui demandent une certaine discipline.

Merci de prendre soin de vous afin de continuer à prendre soin des autres.

Références

Germer, C. K., Neff, K., Dechow, I., Retoux, D., & Ricard, M. (2020). Programme d’autocompassion en pleine  conscience : Un guide pour professionnels.

Germer, C., & Neff, K. (2020). Mon cahier d’autocompassion en pleine conscience : Comment apprendre à s’aimer.  De Boeck.

Kabat-Zinn, J., André, C., & Maskens, C. (2012). Au coeur de la tourmente, la pleine conscience : MBSR, la réduction  du stress basée sur la mindfulness, programme complet en 8 semaines. J’ai lu.

Neff, K., & Lavigne, P. (2013). S’aimer : Comment se réconcilier avec soi-même. Belfond