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L’assignation à comparaître et le secret professionnel : Guide pratique à l’usage du criminologue appelé à titre de témoin à témoigner devant une cour de justice

Juillet 2024

L’assignation à témoigner, aussi appelée subpoena, est un document dans lequel un juge ou un tribunal peut ordonner à toute personne ou à tout professionnel de témoigner devant un tribunal. L’assignation à produire un document ou le subpoena duces tecum est une ordonnance au témoin d’apporter les documents qui y sont mentionnés.

Il peut s’agir d’un conseil de discipline, si le criminologue fait face à une plainte du syndic de l’Ordre, mais il peut aussi s’agir d’un autre tribunal dans le cadre d’un procès au civil (poursuite pour dommages et intérêts ou en matière de divorce et de garde d’enfant), d’un procès au criminel ou en matière de protection de la jeunesse.

L’assignation à témoigner peut avoir été transmise de plusieurs façons : par un moyen technologique, par la poste ou par huissier. Ce document contient des informations importantes telles que la date, l’heure et l’endroit où la personne visée doit se présenter. Il peut aussi indiquer certains dossiers ou documents qu’elle doit apporter, par exemple le dossier professionnel ou les notes évolutives.

Il faut savoir qu’une assignation à témoigner ou à déposer un document est un ordre de la Cour. Vous avez donc l’obligation de le respecter, et ce, même si vous êtes un professionnel tenu au secret professionnel.

Rôle et responsabilité du professionnel

Comme membre d’un ordre, le criminologue a l’obligation de respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession[1].

Le Code des professions et son Code de déontologie précisent qu’il n’est relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse2.

L’article 9 de la Charte stipule par ailleurs que : « Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »

Le criminologue doit par ailleurs s’assurer que son client est pleinement informé des utilisations éventuelles des renseignements confidentiels qu’il obtient dans l’exercice de sa profession[2].

Le Code de déontologie actuel des membres de l’Ordre prévoit que le contenu du dossier concernant un client, tenu par un criminologue, ne peut être divulgué, confié ou remis à un tiers, en tout ou en partie, qu’avec l’autorisation de ce client ou lorsque la loi l’exige ou l’autorise[3].

Sans oublier l’obligation au cœur même de la relation du professionnel avec son client, soit celle d’établir et de maintenir une relation de confiance[4]. C’est ce droit à la confidentialité absolue qui permet au client de pouvoir se confier en toute sécurité.

Mais quelles sont les conditions qui permettent de déterminer que les renseignements demandés sont protégés par le secret professionnel ? Sommairement, les trois conditions suivantes doivent être remplies :

  • Est-ce que le dossier demandé ou l’information qui s’y trouve est tenu par un professionnel ?
  • Est-ce qu’il s’agit d’une information de nature secrète, c’est-à-dire d’une confidence faite avec l’intention que cela demeure secret ?
  • Est-ce que l’information donnée par le client a été donnée au professionnel dans l’exercice de sa profession ?

Même devant les tribunaux le professionnel ne peut, à de rares exceptions près, être forcé de révéler l’information protégée qui appartient à son client. C’est au client de décider s’il révèle l’information confidentielle ou s’il permet au professionnel de la partager. Or, qu’advient-il si le criminologue reçoit malgré tout une assignation à comparaître ou à produire des documents ?

Assignation à témoigner ou à produire un dossier (subpoena duces tecum) : qu’est-ce qu’on attend de vous ?

Un subpoena ne signifie pas la levée du secret professionnel ; le procureur qui souhaite faire témoigner un criminologue ou lui faire déposer des documents devra convaincre le juge du bien-fondé de sa demande. Rappelons-le, ce n’est qu’en des circonstances très exceptionnelles qu’un tribunal peut ordonner la levée du secret professionnel.

D’emblée, il serait important de clarifier votre rôle auprès de l’avocat qui vous demande de témoigner ou de déposer un dossier et ensuite, auprès du tribunal le jour de l’audience, si nécessaire. Vérifiez sur le document qui vous a été signifié ou notifié par un moyen technologique si les coordonnées de l’avocat qui souhaite vous interroger s’y trouvent.

Il ne faut jamais hésiter à rappeler aux parties prenantes, ainsi qu’au tribunal le jour de l’audience, votre rôle et votre mandat auprès du client, votre obligation de protéger le secret professionnel et le lien de confiance qui ne doit pas être compromis par votre témoignage. Il peut même être question d’un enjeu de sécurité pour la personne qui vous a fait des confidences. À plus grande échelle, c’est le lien de confiance à l’égard de toute une clientèle, voire du public en général qui pourrait être mis en péril.

Comme témoin de faits (témoin ordinaire), on souhaitera certainement vous questionner sur certains éléments ou confidences notés au dossier professionnel ou révélés par le client.

Le présent avis n’abordera pas le rôle du criminologue qui témoigne comme expert (témoin expert), qui bénéficie d’un rôle bien différent du témoin de faits. Dans ce cas-ci, c’est l’opinion du professionnel qui est recherchée sur une question bien précise et le criminologue aura obtenu préalablement un mandat en ce sens : production d’un rapport d’expertise et témoignage au soutien de son opinion. Le rôle du témoin expert est de conseiller et d’éclairer le tribunal. Il doit par ailleurs être d’abord reconnu par la Cour comme expert après avoir fait état de ses compétences, de son expérience de travail et de son champ de pratique. Le CV du professionnel est toujours joint avec le rapport d’expertise, il sert de présentation pour pouvoir ensuite être désigné comme témoin expert par le tribunal et pouvoir donner son opinion sur un sujet donné.

Pour en revenir au témoin ordinaire, lorsque vous êtes ainsi contraint de témoigner sur toute information qui vous aurait été confiée sous le sceau de la confidentialité, vous devez protéger le secret professionnel, à moins bien sûr d’avoir préalablement obtenu un consentement spécifique de la part du client.

Vous pourriez communiquer avec ce dernier, si c’est possible, pour l’informer de la situation et échanger sur les informations sensibles qui pourraient se trouver au dossier. Tentez ensuite de discuter avec l’avocat qui vous assigne à témoigner, et ce, avant le jour du procès ou de l’audience. Une bonne discussion avec ce dernier permettra au criminologue de bien comprendre ce qui est attendu de lui, les questions que l’on souhaite aborder, mais aussi et surtout, de clarifier et de mettre en garde l’avocat des limites de son témoignage et annoncer tout de suite que vous invoquerez votre devoir de protéger le secret professionnel, si nécessaire.

Le criminologue doit par ailleurs s’assurer que les éléments en jeu (informations qu’on demande de révéler, documents ou notes évolutives que l’on souhaite voir déposer au tribunal) visent, comme indiqué plus haut, réellement des éléments protégés par le secret professionnel et que ceux-ci n’ont pas déjà fait l’objet d’une communication, par exemple si une loi d’exception le permet (un renseignement déjà transmis dans le cadre d’un signalement à DPJ). Est-ce que la confidence a été faite (ou l’information communiquée) dans le cadre de son mandat ? Cela exclut toute observation qui aurait pu être faite par toute autre personne présente dans un lieu ou tout renseignement autrement vérifiable.

Que faire si on vous demande de révéler des informations sensibles, protégées par le secret professionnel et pour lesquelles vous n’avez pas l’autorisation du client ?

Le criminologue doit d’emblée refuser de répondre à toute question qui l’amènerait à briser son obligation d’assurer la protection du secret professionnel.  Il faut le rappeler, le principe directeur du droit au secret professionnel repose sur l’idée que le respect de la confidence est indispensable à l’exercice même de la profession de criminologue ou de tout autre professionnel.

Le criminologue est le mieux placé pour expliquer au juge ou aux avocats tous les enjeux relatifs à un dossier particulier, l’importance d’assurer la confidentialité, son rôle et celui de l’organisme auprès de qui il travaille, l’importance de préserver le lien de confiance, tant avec le client que face au public quant à son rôle.

Si on intime au criminologue de déposer à la Cour un dossier ou un document protégé par le secret professionnel, il doit, comme s’il faisait face à un mandat de perquisition, remettre le dossier ou le document visé, mais « sous scellé » : c.-à-d. placé dans une enveloppe fermée après y avoir inscrit « protégé par le secret professionnel ».

Il faut aussi savoir qu’un bris du secret professionnel expose le criminologue à des poursuites de son ordre (faute déontologique) ou de son client (dommages-intérêts).

Par ailleurs, dans certaines circonstances (exceptionnelles faut-il le rappeler), le juge pourrait lever le secret et demander au criminologue de répondre à certaines questions qu’il lui indique. Dans un telle situation, le juge pourrait conclure après analyse, et après avoir soupesé les arguments de toutes les personnes intéressées, que la recherche de vérité (ex. résolution d’un crime) prime sur le droit du client au secret professionnel. Le criminologue serait alors délié de son obligation et pourrait, selon les modalités déterminées par la Cour, divulguer les renseignements pertinents (ou déposer un document) se rattachant à cette recherche de vérité.

Vu son rôle, le juge pourrait aussi être un atout inestimable pour aider le professionnel à départager les informations qui sont protégées par le secret professionnel de celles qui ne le sont pas. Vaux toujours mieux être plus prudent devant les tribunaux, quitte à se faire intimer de répondre ou de déposer un document après avoir fait les mises en garde qui s’imposent. Ce n’est que lorsque le juge ordonne la levée du secret professionnel à l’égard de certains renseignements ou documents bien précis que le professionnel est autorisé à le faire.

Quelques conseils pratiques à retenir en vue d’un témoignage

  • L’avocat qui vous a assigné vous posera les questions, mais les réponses doivent être adressées au juge.
  • Vous avez le droit de consulter vos notes, tant que vous n’en faites pas la lecture (évitez de donner l’impression de réciter votre témoignage, au lieu de répondre aux questions au meilleur de votre connaissance). Si vous avez préparé des notes, il est fort possible que l’avocat qui vous questionne demande qu’elles soient déposées.
  • N’hésitez jamais à faire répéter une question si vous n’avez pas bien compris et prenez le temps nécessaire pour répondre.
  • Ne témoignez que sur les faits dont vous avez eu connaissance (attention aux spéculations).
  • Limitez vos réponses aux seules questions qui vous sont posées et n’hésitez pas à répondre que vous ne connaissez pas la réponse ou que vous n’êtes pas certain d’un élément, si tel est le cas.
  • Lors d’une objection formulée par un avocat, attendez toujours la décision du juge avant de répondre à la question.
  • Évitez de discuter ou d’argumenter avec l’avocat qui pose les questions.
  • En situation de contre-interrogatoire, assurez-vous d’être en accord avec chacun des éléments d’une question (qui commence par « N’est-il pas vrai que … » ?) avant de répondre par l’affirmative.

Tenue de dossier

Une fois son témoignage terminé ou les documents déposés à la Cour, le cas échéant, le criminologue doit noter à son dossier professionnel les éléments qui ont été communiqués[5] et les explications au soutien de celle-ci : ex. : levée du secret professionnel ordonnée par le tribunal.

Indemnités et allocations payables au témoin

Toute personne qui est assignée devant une cour de justice bénéficie du droit d’obtenir une indemnité pour perte de temps et d’une allocation pour les dépenses liées à un déplacement. Il faut savoir qu’aucune indemnité n’est versée si le témoin ne subit pas de perte de gain de son employeur, en vertu par exemple de sa convention collective. Vous pouvez consulter le Règlement sur les indemnités et les allocations payables aux témoins cités à comparaître devant les cours de justice à l’adresse suivante : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/C-25.01,%20r.%200.5%20/

___________________

  1. Article 3.06.01.01 du Code de déontologie des membres de l’OPCQ (note : en cours de révision) et article 60.4 du Code des professions2 L’OPCQ a rédigé un document sur le secret professionnel, pour plus d’informations sur les principes et surtout, les exceptions au secret professionnel, se référer au texte : La confidentialité et le secret professionnel : comment naviguer avec assurance? ^
  2. Article 3.06.01 (alinéa 3) du Code de déontologie des membres de l’OPCQ (note : en cours de révision.^
  3. L’article 3.06.08 du Code de déontologie des membres de l’OPCQ (note : en cours de révision) ^
  4. Article 3.01.04 du Code de déontologie ^
  5. Règlement sur les dossiers, les bureaux et la cessation d’exercice des criminologues, C-26, r. 90.04, article 8, par. 3°. ^

 

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